mardi 5 janvier 2010

* LES LOGICIELS "ANTI-PLAGIAT" APPLIQUÉS AUX TRAVAUX UNIVERSITAIRES : EFFICACITÉ ET LIMITES

NOUVELLE VERSION DU BLOG

http://archeologie-copier-coller.com/

(24 Janvier 2010, version non définitive)
Le plagiat dans les travaux universitaires a pris des dimensions nouvelles depuis l'arrivée d'Internet. Les plagiats sous forme d'emprunts non référencés de documents trouvés sur Internet sont largement répandus. Le simple "copier-coller" issu d'Internet est devenu la forme de plagiat la plus fréquente dans les travaux courants, mais aussi dans les mémoires, les thèses et les articles.

Contrairement aux grandes universités américaines qui ont vu naître Internet (elles furent les premières à s’inquiéter du copier-coller dans les travaux universitaires), beaucoup d’universités françaises n’ont pas encore pris pleinement conscience de l’ampleur du phénomène. Dans le monde francophone, c’est vers le Québec (
Université du Québec à Montréal), la Suisse (Université de Genève) et la Belgique (Université catholique de Louvain) qu’il faut se tourner pour trouver des études sur le sujet et la mise en œuvre de politiques exemplaires face à ce fléau.

Lorsque le problème du plagiat est ouvertement posé et traité dans les universités françaises, que ce soit au niveau des présidences, des conseils, des UFR, des départements, des écoles doctorales ou, individuellement, au niveau des enseignants, on croit encore trop souvent, en toute bonne foi, trouver dans le recours à un logiciel "anti-plagiat" le remède-miracle.

C’est à travers l’analyse de l’utilisation du logiciel
Compilatio.net, certainement le plus fréquemment utilisé dans les universités françaises et dont la presse s’est souvent fait l’écho, que nous mettrons en évidence à la fois les apports réels de ce type de logiciels dans la lutte contre le plagiat, mais aussi leurs sérieuses limites. Si ces limites sont sous-estimées, voire ignorées, les utilisateurs de ces logiciels anti-plagiat risquent de commettre de graves erreurs d’appréciation concernant les documents, mémoires ou thèses qu’ils soumettront à son contrôle. Plus grave, des appréciations erronées sur les logiciels de ce type conduiront immanquablement dans des impasses la lutte contre les plagiats dans les travaux universitaires.


COMPILATIO.NET
Le logiciel
Compilatio.net est un produit de l’entreprise savoyarde Six-degrés, créée en 2003. Ce logiciel de la seconde génération de logiciels anti-plagiats est arrivé sur le marché français en 2004.
Une première génération de logiciels "anti-plagiat" avait vu le jour au début des années 90. Créés par des informaticiens, au sein même de quelques universités des États-Unis, ces logiciels restaient le plus souvent à usage purement interne. Ils étaient également gratuits.

L’extension du phénomène du « copier-coller » dans les travaux universitaires aux États-Unis a favorisé l’arrivée sur le marché, fin des années 90, début des années 2000, de produits plus sophistiqués, aux interfaces améliorées, mais payants. On en connaît plusieurs dizaines, parmi les plus connus, citons :
Turn it in, lancé en 1998, Eve et le logiciel suédois Urkund* diffusés à partir de 2000, Ithenticate en 2003, Ephorus, d’abord développé aux Pays-Bas et en Norvège, toujours en 2003.
Compilatio.net, né en 2004, se rattache à cette seconde génération et a bénéficié d’améliorations notables depuis ses débuts. Il est aujourd’hui décliné en 5 langues : français, anglais, espagnol, italien et allemand qu’on trouvera aux adresses suivantes : compilatio.net.fr, compilatio.net.en, compilatio.net.es, compilatio.net.it et compilatio.net.de.


DES FORMULES DISCUTABLES
Les arguments mis en avant par les promoteurs de
Compilatio.net pour faire connaître ce produit sont « Compilatio.net est un outil en ligne de détection de plagiat », ou encore « Compilatio est un service d’analyse de document en ligne permettant la détection de plagiat ».
La première formulation est tout à fait excessive dans la mesure où
Compilatio.net, pas plus que les autres logiciels de ce type, ne détecte aucun plagiat en tant que tel. Il met seulement, ce qui est déjà beaucoup, à la disposition de chacun de ses utilisateurs, des moyens qui facilitent la détection d’un certain type de plagiat.
La deuxième formulation est également discutable. En effet, « permet » renvoie à une sorte d’exclusivité alors que «facilite» paraîtrait plus adapté à l’usage de ce logiciel (Google aussi «facilite», plutôt qu’il ne « permet » la recherche de plagiats). De même que le terme « plagiat », au singulier, paraît renvoyer « au plagiat » et donc à l’ensemble des formes de plagiat, et à tous les plagiats du texte contrôlé. Ceci, alors que précisément nous verrons que les plagiats dont
Compilatio.net facilite la détection correspondent essentiellement à la copie numérique, de type copier-coller.

L’analyse de ces seuls arguments, rédigés par le service communication de l’entreprise
Six-degrés pour promouvoir la diffusion de ce produit, résume une partie les problèmes que pose l’usage de Compilatio.net et des autres logiciels de ce type.
Notons cependant, que dans une sorte de mode d’emploi du logiciel, accessible sur le site de
Compilatio.net, l’entreprise précise que le logiciel : « détecte les passages similaires », plutôt que « le plagiat », ce qui est juste. Mais cette précision est faite dans un contexte textuel qui ne lève pourtant aucune des ambiguïtés signalées plus haut. En effet, ce mode d’emploi se présente sous la forme d’une série de 15 questions-réponses dont la première est la suivante : Que peut-on considérer comme du plagiat ? La réponse suit : Compilatio.net détecte les passages similaires entre le document analysé, l'ensemble des sources disponibles sur Internet (et) les documents analysés par le passé. C'est la quantité de passages "similaires" dans un texte qui permettra à l'utilisateur d'apprécier si le document a été plagié ou non. »

Les couleurs, vert, orange et rouge (voir plus bas), qui s'affichent aussitôt l'analyse du document terminée, participent à cette confusion entre "similitude" et "plagiat". Si un doute demeurait, rien ne pourrait mieux illustrer l’illusion cultivée à dessein par les promoteurs de
Compilatio.net que le logo qu’ils proposent
d’afficher sur le site de l’université, à celles qui ont adopté ce logiciel, Sous la forme d’une sorte de tampon officiel, ce logo met en scène ce texte un peu pompeux : "L'Engagement d'Excellence : Internet Certifié Sans-Plagiat" avec Compilatio.net ». Cette formule à la Édouard Leclerc est évidemment particulièrement excessive et donc nécessairement trompeuse.

Remarquons que pour d’autres entreprises de logiciels anti-plagiat, cette ambiguïté n’est pas entretenue avec autant de soin que par
Compilatio.net. Signalons le cas d’Urkund, logiciel à l’origine développé en collaboration avec le département d’Éducation de l’université d’Uppsala (version française, http://www.urkund.fr). Dans un mode d’emploi «questions-réponses» du même genre que celui de Compilatio.net, il est souligné très explicitement en réponse à la première question : « Les analyses d’Urkund ne font que présenter des similarités et non du plagiat avéré. C'est au corps enseignant/pédagogique que revient la responsabilité de déterminer la présence de plagiat avéré. » (cette remarque faite, il semble cependant que dans le domaine de l'efficacité, Compilatio.net repère mieux qu'Urkund les textes identiques. C'est l'avis de Didier Duguest** qui a testé avec beaucoup de rigueur les principaux logiciels Anti-plagiat).


UN INDICE NON PERTINENT
Pour atteindre leur objectif, les logiciels anti-plagiats comparent le texte qu’on leur soumet à l’ensemble des ressources accessibles librement sur Internet.
Compilatio.net repère les textes identiques, plus précisément des séquences d’une dimension donnée, d’un certain nombre de mots consécutifs identiques.
Une fois l’analyse de la totalité du texte soumis à ce contrôle terminée, la rubrique «
résultat » de Compilatio.net affiche « l’indice de plagiat», c’est-à-dire, en réalité, le taux du texte soumis pour lequel ont été repérées des séquences identiques sur Internet. Compilatio.net annonce la couleur : cet indice de plagiat s’affiche en vert s’il est inférieur à 10%, en orange pour un pourcentage compris entre 10 et 35%, en rouge au-delà de 35%.
Le choix chromatique est là sans aucune ambiguïté : un indice inférieur à 10% vaut à un document d’être considéré comme original («
une marge de tolérance est utilisée permettant à un document contenant peu de passages similaires d'être considéré comme un travail original. »).
Dans l'article
"Le retour du réel : cache-cache plagiat", nous exposons le cas d’un résumé de thèse auquel Compilatio.net avait donné son feu vert ("indice de plagiat" de 9%), et qui s’est révélé être un plagiat de bien plus grande ampleur. Ce qui constituait un indice certain que la thèse résumée par ce texte méritait d’être lue avec une attention particulière.

Notons que le terme «
indice de plagiat », lorsque plagiat est au singulier, pose ici, avec une acuité plus accrue, le même problème soulevé plus haut.. On ne s’en étonnera pas ; les lois du marketing — Compilatio.net est un « produit » qu’il faut d’abord vendre — ne sont pas toujours celles de la rigueur sémantique.
À ce stade pourtant,
compilatio.net n’a en fait que calculé non pas un pourcentage de « plagiat » mais bien le seul pourcentage de séquences identiques, « similaires », trouvées sur Internet. Aucune preuve n’a encore été apportée de la présence ou de l’absence de plagiats

Ainsi, ce premier indice de plagiat si rapidement affiché sous la forme d’un taux de « plagiat » n’est pas d’une grande pertinence. Il doit être discuté et réévalué. D’une part, l’existence sur Internet de textes identiques ne signifie pas qu’il y ait obligatoirement plagiat. D’autre part, tous les plagiats susceptibles d’être présents dans le texte soumis à cette analyse du logiciel ne prennent pas forcément la forme de copie fidèle du texte plagié et ne sont donc pas repérables par ce logiciel.


TEXTES IDENTIQUES ET PLAGIAT
Compilatio.net fait abstraction dans ses recherches comparatives des guillemets et autres marqueurs de citation. Il met donc sur le même plan des textes légitimement cités dans le respect des conventions (utilisation des guillemets et/ou des italiques, mise en retrait, explicitation des sources) et les textes copiés sans aucune des marques de citation ni mention d’origine que s’attribue donc implicitement l’auteur du travail universitaire soumis à l’analyse du logiciel de détection de plagiat.

Enfin, autre exemple, une grande partie du texte des bibliographies, essentiellement constituées de noms d’auteurs suivis de titres d’articles ou de livres, est ainsi, au premier stade de l’analyse de Compilatio.net, comptabilisée comme «plagiat». En effet, ces phrases-titres se retrouvent naturellement à de nombreuses occurrences sur Internet (librairies en ligne comme fnac.com ou amazon.com, ouvrages cités dans d’autres bibliographies de mémoires ou thèses, etc.). Elles sont donc, à priori, repérées par Compilatio.net comme textes identiques et, par voie de conséquence, comptabilisées pour le calcul de l’indice de plagiat (mais cette remarque n’exclue pas les cas, fréquents, de bibliographies issues de plagiat/« copier-coller. Nous en présenterons un exemple dans un prochain article concernant une thèse à cet égard remarquable, car
quasi entièrement composée de "copier-coller». Sa bibliographie est elle même constituée d'un assemblage des "copier-coller" réalisés sur les bibliographies des textes plagiés).
Signalons la notice « Repérer le plagiat dans les travaux des étudiants ? » mise en ligne sur le site de l’Université catholique de Louvain.
« ATTENTION, les logiciels de détection du plagiat recherchent en réalité les similitudes entre le texte de l'étudiant et les textes disponibles en libre accès sur Internet. Le résultat fourni représente donc un pourcentage de SIMILITUDE, et non un pourcentage de plagiat ! Certaines similitudes ne sont pas du plagiat : les citations entre guillemets avec mention de la référence, les références bibliographiques, des bouts de phrase du langage courant... ».
La conclusion suit : « La responsabilité de la correction reste entièrement entre les mains de l'enseignant : une interprétation du pourcentage fourni par le logiciel est indispensable. »


LES FAUX POSITIFS
Dans le cas du contrôle à posteriori d’un mémoire ou d’une thèse déjà soutenus, d’un article, la totalité du texte soumis au contrôle de
Compilatio.net peut aussi avoir déjà avoir été mis en ligne sur différents sites dans des contextes où ces différentes occurrences en ligne du même texte ne sont pas en soi significatives d’un quelconque plagiat. Ainsi, les mémoires de master, et surtout les thèses, sont, aujourd’hui, souvent mis en ligne sur le site de la bibliothèque de l’Université de l’étudiant, par exemple sous la rubrique «Les thèses de Paris 8 en ligne », la Bibliothèque de l’Université propose les fichiers pdf de plus de 150 des environ 400 thèses soutenues à Paris 8 depuis l’année 2006.
Des sites spécialisés sont par ailleurs dédiés à la mise en ligne des travaux universitaires (par exemple, le projet
DART Europe, portail de thèses européennes en ligne, le serveur TEL (thèses en ligne), ou mémSIC, mémoires de master en sciences de l’information et de la communication abritée par le CNRS).
Dans ces cas
Compilatio.net devrait théoriquement afficher un premier indice de plagiat de 100%. En réalité, dans cette situation, le taux affiché est souvent inférieur. La différence avec les 100% mesurant ici les imperfections du logiciel.

Toujours pour des mémoires et thèses déjà soutenus, ou des articles, des extraits du document soumis à
Compilatio.net peuvent aussi avoir été mis en ligne sans pour autant renvoyer à des plagiats perpétrés par l’auteur du document contrôlé:
• Un mémoire de master, une thèse, un article peuvent avoir été largement cités et commentés, dans le respect des règles de citation et d’emprunt, dans un document mis en ligne.
• Ils peuvent aussi avoir été largement plagiés, et ce texte avec plagiats, mis en ligne (voir l’exemple présenté plus bas). Dans ce cas, notons que
compilatio.net réagit à l’inverse de ce que la situation imposerait en mettant, dans son premier "indice de plagiat", au compte du plagié, le plagiat dont il est pourtant la victime.

Soulignons cependant que les approximations sémantiques de
Compilation.net ne l’empêchent pas de mettre à la disposition de ses utilisateurs des outils permettant de dépasser la non-validité du premier indice de plagiat proposé et d’accéder à des résultats plus pertinents.


DES OUTILS EFFICACES À USAGE LIMITÉ
Le premier «
indice de plagiat » affiché par Compilatio.net doit donc être ignoré dans l’attente de la recherche de preuves issues d’un travail plus approfondi sur la pertinence des résultats présentés. Nous verrons plus loin qu’une fois affiché ce premier résultat discutable, Compilation.net offre en aval, dans ses « rapports détaillés », les moyens à ses utilisateurs de distinguer les « copier-coller » dont on peut fournir la preuve de plagiats.

La copie, en l’occurrence ici le « copier-coller » numérique, la copie la plus fidèle qui soit, est la seule forme de plagiat détecté par Compilatio.net. Le « copier-coller » est aussi la forme la plus caricaturale du plagiat. Mais il existe de nombreuses formes de plagiat qui échappent au contrôle de
Compilation.net. Citons à nouveau les cas de la paraphrase et de la traduction, sans mention des sources, comme exemple de plagiats qui échappent aux recherches de Compilatio.net.
Pour cette raison supplémentaire, et bien qu’il puisse être d’une aide précieuse et permette de gagner du temps, répétons qu’il est abusif de considérer
Compilation.net comme un « détecteur de plagiat ». Il aide surtout, ce qui est déjà bien, à la détection de plagiats/« copier-coller », la forme la plus fréquente mais loin d’être exclusive, que prend le plagiat dans les travaux universitaires aujourd’hui. Il peut aussi, mais rarement, mettre sur la piste de plagiats sous forme de paraphrases du texte plagié.

L’utilisation de Google, totalement gratuite, comme l’utilisation de Compilatio.net, très onéreuse, permettent de détecter les plagiats/« copier-coller » sur Internet. La qualité des interfaces et des moyens proposés par Compilatio.net rend indiscutablement ces recherches plus aisées qu’avec Google. Mais
Compilatio.net, comme Google, laissent passer des «copier-coller».


LA RECHERCHE DE PREUVES : UN TRAVAIL FASTIDIEUX
Pour chaque supposé « plagiat » qu’il a détecté, « plagiat » pour l’instant encore comptabilisé pour le calcul du premier indice de plagiat affiché en couleur,
Compilatio.net offre à l’utilisateur, dans son « rapport détaillé » la liste des adresses des sites où ont été repérés ces « plagiats ». Il offre aussi les moyens d’accéder directement à ces sites et de comparer en vis-à-vis le texte soumis au contrôle et toutes les occurrences des textes identiques repérées sur ces sites.
C’est à ce stade que l’utilisateur doit, pour éviter toute accusation infondée de plagiat, s’atteler à un travail long et fastidieux. Il doit, séquence par séquence, comparer le supposé « plagiat » détecté par le logiciel avec les textes sur les différents sites Internet que le logiciel lui associe.

Il convient d’abord vérifier que le texte contrôlé ne présente pas comme citation, avec tous ses attributs légitimes, la séquence identique repérée par
Compilatio.net sur Internet, et encore à ce stade comptabilisée par le logiciel pour le calcul de « l’indice de plagiat».
Si cette première vérification n’a pas permis de lever le soupçon de plagiat, il devient indispensable de s’assurer de la preuve que le texte présenté par le logiciel comme plagié est bien antérieur au texte contrôlé soupçonné de plagiat. Cette vérification apporte parfois des surprises. Pour l’illustrer, je mentionnerai ici un cas que je développerai ailleurs en détail.
Il y a quelques années, à la fin de l’année 2005, la lecture d’un mémoire de DEA soutenu en septembre 2000, bien qu’il avait été jugé remarquable et mis en ligne par son directeur de recherche au vu de ses « qualités » (il est aujourd’hui toujours en ligne), m’avait cependant conduit à soupçonner quelques plagiats importants.
Des recherches effectuées avec Google, sans alors faire appel à Compilatio.net, m’avaient rapidement permis de retrouver sur Internet une introduction identique à celle du mémoire de DEA dans un rapport volumineux signé par deux éminents professeurs d’une autre université (rapport lui aussi aujourd’hui toujours en ligne).
J’ai, dans un premier temps, et j’oserai dire, presque naturellement, conclu au plagiat du rapport des deux professeurs par l’étudiant. Ceci, avant de me rendre compte quelques jours après que ce rapport avait incontestablement été écrit et mis en ligne sur Internet en février 2005, soit près de cinq ans après la mise en ligne du mémoire de DEA. La mention de ce mémoire de DEA et de son auteur figurait d’ailleurs dans la bibliographie très nourrie qui concluait le rapport (mais la mention dans la bibliographie des références du document plagié dans le corps du texte n’enlève rien au statut de ce plagiat si les copies de ces ouvrages n’ont pas été présentées comme citation dans le corps du texte. En l’occurrence, cette bibliographie dressait essentiellement la liste des sources des emprunts des professeurs plagiaires).
Poursuivant mes recherches sur ce mémoire de DEA, j’ai découvert, comme je l’avais de prime abord subodoré, d’autres parties importantes plagiées. Mais j’ai aussi retrouvé ultérieurement dans un document ministériel mis en ligne en 1999 une grande part de la fameuse introduction évoquée ci-dessus. Vérifications faites, j’ai pu établir que l’étudiant avait bien plagié, en 2000, un document ministériel mis en ligne depuis 1999. Et que ce même texte de 1999 avait été plagié par les deux professeurs d’Université, mais depuis la version déjà plagiée de l’étudiant, et non depuis la version originale.

Ce cas, réel, illustre l’importance des précautions à prendre avant de porter l’accusation de plagiat : indépendamment de la découverte ultérieure que l’étudiant avait lui-même plagié, contrairement à ma première hypothèse, ce sont bien les deux professeurs d’universités qui ont copié le mémoire (lui même plagiat) de l’étudiant et non l’étudiant qui avait fait des emprunts au rapport des professeurs.
Cette expérience illustre aussi une règle concertant la chronologie des textes comparés dans le cas de la recherche de plagiats. Dès le moment où il est prouvé qu’un texte A signé par un auteur A’ a été produit postérieurement à un texte B, identique à A, signé par un auteur B’, l’auteur A’ peut être considéré comme plagiaire. Ceci indépendamment du fait qu’on puisse ou non démontrer ultérieurement que B’ est lui-même le plagiaire d’un éventuel texte C signé par un auteur C’ produit antérieurement à B’. D’ailleurs, qu’il s’avère que A’ ait finalement copié B’ ou C’, peu importe… C’ est peut-être lui-même un plagiaire….
Ce type de figure, les plagiats en cascade parmi lesquels il n’est pas toujours aisé, et parfois même quasiment impossible, de distinguer à coup sûr l’original, est aujourd’hui assez fréquent sur Internet.
Cette expérience illustre enfin, qu’aujourd’hui, à l’ère d’Internet, avant même de citer, dans le respect des normes, un texte trouvé en ligne (thèses, mémoire, article, etc.), il faut, par prudence, se convaincre par un minimum de recherches que le texte que l’on s’apprête à citer avec ses références est bien l’original, non pas déjà un plagiat.

Les utilisateurs de
Compilatio.net et des autres logiciels du même type sont donc en mesure de distinguer un véritable plagiat/« copier-coller », fautif par conséquent, d’une citation correctement référencée. Ils peuvent donc confirmer ou infirmer la présence d’un « copier-coller » condamnable à cet endroit du document contrôlé. Ils peuvent aussi apporter les preuves incontestables du plagiat par la comparaison des dates de production du texte soumis au contrôle avec un texte antérieur identique.

Au fur et à mesure de ces vérifications, quand l’utilisateur du logiciel juge que la séquence identique repérée sur tel ou tel site Internet par le logiciel n’est pas à retenir comme plagiat/« copier-coller »,
Compilatio.net lui offre la possibilité d’«ignorer» (c’est l’intitulé de cette fonction) cette séquence et ses sites associés. Cette séquence est alors neutralisée en tant que « plagiat » et n’est plus comptabilisée pour le calcul de l’indice de plagiat. Cet indice de plagiat diminue donc d’autant.
Ce n’est qu’à la fin de ces opérations, fastidieuses, de successives neutralisations par la fonction «ignorer», que
Compilatio.net affiche un indice pertinent, mais toujours pas de véritable «indice de plagiat » comme il est annoncé. Plutôt un taux de plagiats/« copier-coller » découverts.
Cet indice final correspond au seul taux de plagiats/« copier-coller »issu d’Internet et laisse de côté bien d’autres formes de plagiats.


ÉCHAPPER AUX CONTRÔLES
Les plagiats issus d’Internet et qui ne sont pas repérables par Compilatio.net sont de deux ordres :
a) Les plagiats issus de textes ouvertement accessibles sur Internet mais plagiés sans être de simples « copier-coller » (paraphrases, traductions, etc.). Par exemple, dans le mémoire de DEA, plagié à plus de 95% et objet de mon étude «
Repérer avec Google les textes réécrits ou traduits», le taux de plagiats/copier-coller qui auraient été détectables par Compilatio.net, n’était d’environ que de 50%. L’autre moitié des plagiats correspondait à des traductions (en l’occurrence des traductions automatiques) à partir de textes en ligne. Ces plagiats/traductions restent pour l’instant indétectables par Compilatio.net comme par les autres logiciels anti-plagiat.
b) Les textes accessibles sur Internet à travers des sites payants. Quasi ouvertement, ou sous le couvert de bibliothèques payantes, on peut ainsi se procurer des travaux à plagier sur tous les sujets imaginables, inaccessibles à Compilatio.net.

En outre, comme avant l’ère d’Internet, les documents-papiers des bibliothèques universitaires (livres, mémoires, thèses, etc.), qui n’ont pas d’équivalents numériques mis en ligne, sont par nature inatteignables par
Compilatio.net.

Comme nous l’avons souligné, l’efficacité de
Compilatio.net est réduite à la seule découverte des plagiats de type copier-coller. Son usage ne saurait donc résoudre le problème des plagiats issus d’Internet dans les travaux universitaires. D’autant que la diffusion et la généralisation de ce type de logiciel pour le contrôle des travaux conduiront naturellement, non pas tant à dissuader les plagiaires de plagier, mais à faire évoluer les formes de leurs plagiats/« copier-coller »vers des plagiats/paraphrases ou des traductions pour échapper aux recherches des logiciels anti-plagiat. Il existe déjà des logiciels destinés aux étudiants et qui y aident.
En effet, l’entreprise américaine qui a créé le logiciel anti-plagiat
Turn in it et l’entreprise française qui diffuse Compilatio.net, logiciels, l’un et l’autre, en principe, réservés aux enseignants, diffusent aussi, respectivement, WriteCheck et le si candidement baptisé Pompotron.
Pompotron.com signale à l’étudiant « la proportion de texte original (non copié sur Internet) » et dresse la liste des sites sources, ceci afin de l’aider « à compléter sa bibliographie ». Je doute que les promoteurs de ces deux derniers logiciels ne sachent pas qu’ils sont aussi, sinon d’abord, utilisés par des apprentis plagiaires soucieux de mesurer la perméabilité de leurs travaux au contrôle des logiciels anti-plagiats que ces mêmes entreprises diffusent auprès des Universités.

Jean-Noël Darde


* Le logiciel
Urkund se décline aujourd’hui en 11 langues : norvégien, suédois, finlandais, danois, anglais, allemand, français, portugais, espagnol, italien et russe.

** DUGUEST, Didier (2008)."Étude comparative des logiciels anti plagiat". Article mis en ligne sur le site du Professeur Michelle Bergadaà à l'adresse www.responsable.unige.ch/documents/EtudeComparativeLogiciels.pdf





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1 commentaires:

Blogger Jean-Noël DARDE a dit...

Dans un brillant mémoire, "Du plagiat universitaire", sur lequel nous reviendrons, Charles Coustille nous prévient dès l'introduction que son chapitre 2, "Une histoire du plagiat universitaire" est entièrement plagié (les clefs des plagiats sont données en annexe). Il soumet ce chapitre 2 au logiciel Compilatio.net qui lui donne le feu vert (9% de plagiats repérés).

COUSTILLE Charles, 2009. Du plagiat universitaire, mémoire de Master 2, sous la direction de Philippe Roger (EHESS).

30 avril 2010 à 09:44  

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